François POPLIN, archéologue, ostéologue et anthropozoologue

Archéologue, spécialiste de l’étude des faunes préhistoriques, de l’anatomie à la paléontologie, de l’archéozoologie à l’anthropozoologie, François Poplin était un chercheur et un enseignant bouillonnant d’idées, sans frontière intellectuelle. Grand érudit, passionné et passionnant, il était le conteur des rapports si anciens qui lient indéfectiblement l’Humain à l’Animal.

Né à Auxerre en 1943, fils d’un bourguignon, professeur d’histoire au Lycée Jacques Amyot[ auquel François Poplin est resté très attaché en tant que membre très actif de l’association des anciens de Jacam.] et d’une mère au foyer aux origines ukrainiennes ashkénazes[ origines mixtes dont il était particulièrement fier.], François Poplin s’intéresse dès sa jeunesse à la faune et aux forêts de sa Bourgogne natale. Cela le conduira vers des études de médecine vétérinaire mais sa vocation profonde se dessine en 1955 lorsqu’il rencontre Raymond Kapps, directeur des fouilles gallo-romaines et mérovingiennes d’Escolives (Yonne), puis, à partir de 1958, André Leroi-Gourhan, professeur au Collège de France et directeur des fouilles des grottes préhistoriques d’Arcy-sur-Cure. C’est sur ces deux chantiers qu’il découvrit l’archéologie.

A la fin des années 1960, devenu vétérinaire officiant dans le Berry, il poursuit ses études en archéologie et soutient, en 1972, une thèse de doctorat de paléontologie sur les renards d’Arcy-sur-Cure. Cela lui vaut d’être engagé comme Assistant au Laboratoire d’Anatomie comparée du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris (MNHN) [espace] où il deviendra Maître de conférences puis fondera et dirigera une unité de recherche du CNRS aujourd’hui dénommée AASPE « Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements », dont il est resté directeur honoraire jusqu’à sa mort.

François Poplin devant une exposition iconographique rue Bonaparte à Paris en 2016 : « …cette image éléphantine [qui] m'a particulièrement attiré l'œil parce qu'elle illustre un thème des plus chers, celui de la féminité de l'ivoire ». Photo François Dars.

A son arrivée au Muséum national d’Histoire naturelle, il entreprend de réinventorier les squelettes abandonnés des collections ostéologiques tombées en désuétude depuis cinquante ans. En parallèle, il étudie les restes de faune de nombreux sites préhistoriques dont les célèbres Gönnersdorf en Allemagne ou Étiolles (Essonne) et Pincevent (Seine-et-Marne) en France, avec sa collègue et amie Francine David. Son analyse s’étend alors aux objets fabriqués à partir de ces ossements animaux que certains de ces sites majeurs ont fourni. Comme toujours, l’acuité de ses observations et son inventivité l’amèneront à contribuer à l’émergence de l’étude des techniques de fabrication de cet équipement et à créer la dénomination « matières dures d’origine animale » pour désigner le groupe formé par les os, les dents dont l’ivoire, les bois de cervidé, les coquilles, les carapaces, les cornes…, désormais utilisée par l’ensemble de la communauté scientifique internationale.

Mais c’est véritablement dans l’étude des vestiges fauniques qu’il devient précurseur, notamment de l’approche anthropozoologique interrogeant les dynamiques historiques des relations entre l’homme et l’animal, non seulement à travers les ossements et les objets que l’on peut en tirer mais aussi à travers les bestiaires, les textes, les langues. Il contribue ainsi à fonder la vision palethnographique (ethnographie des sociétés préhistoriques) chère à André Leroi-Gourhan et, participe de façon significative à la réflexion sur les nouvelles disciplines émergeantes de l’ostéo-archéologie (analyse des ossements animaux trouvés en contexte archéologique), et de la taphonomie (analyse des processus de dégradation des corps après la mort). Vision et apports qu’il a largement transmis à de nombreuses générations d’étudiants et de collaborateurs et qui animent encore aujourd’hui les communautés nationale et internationale concernées.

L’enseignement et la transmission des connaissances

François Poplin a formé et marqué des générations d’étudiants du Muséum comme de l’Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne où il officiait également. Outre sa puissance intellectuelle, ce serait dresser de lui un portrait incomplet que de ne pas mentionner son indiscutable charisme qui, allié à son originalité, suscita nombre de vocations. Une aura qui s’étendait à toutes les sphères qu’il irriguait de sa présence.

Il avait ainsi une façon bien particulière d’enseigner l’ostéoarchéologie, privilégiant la réflexion à l’apprentissage mécanique. Ainsi, pour les examens pratiques de licence au cours desquels nous devions identifier des os, ce qui l’intéressait était, non pas tant le résultat mais avant tout le cheminement qui nous y amenait : comment, de l’observation détaillée de l’os, nous avancions par élimination, reconnaissant en premier lieu sa position anatomique selon sa forme générale et tel détail caractéristique permettant d’en identifier la fonction puis l’appartenance à une famille. Enfin, s’appuyant sur d’autres éléments plus discrets, nous parvenions, comme dans un jeu de Cluedo, à désigner le coupable. Cette démarche est encore au cœur des enseignements du parcours Quaternaire et Préhistoire (spécialité archéozoologie) du Master Biologie Ecologie et Environnement du MNHN.
François Poplin aimait surprendre et tester notre raisonnement. Ainsi s’amusait-il à insérer parfois dans le lot à examiner, l’os d’un animal sur lequel nous n’avions pas eu l’occasion de nous exercer. Après avoir éliminé toutes les possibilités connues, ce spécimen nous laissait souvent perplexes, à son grand plaisir. Peu lui importait de savoir que nous n’avions pu identifier l’animal ; ce qui l’intéressait était de nous entendre égrainer la liste des arguments qui éliminaient progressivement tous ceux que nous avions appris à connaître avec lui. Cette propension à surprendre et tester notre réflexion et réactivité s’illustrait aussi pour les examens écrits. Ainsi, une année, après avoir inscrit le premier sujet classique au tableau, il s’est amusé à ajouter pour le second : « Qu’en pensez-vous ? ». Comme le raconte une de ses anciennes étudiantes devenue amie proche « Sans s’expliquer, il jeta la craie dans la réglette et ajouta : « Ceux qui prendront le second sujet ne seront pas plus avantagés que les autres ». Les résultats ont dû lui convenir car, dans les années qui suivirent, il réitéra sa demande.

Au-delà des cours, François Poplin savait également transmettre son enthousiasme et ses connaissances en créant autour de lui une dynamique à travers la création de groupes de travail, de séminaires et d’une revue.

Au tournant des années 1980, épaulé d’une petite équipe de jeunes chercheurs [dont certains signent ces lignes] implantés au Laboratoire d’Anatomie comparée et souvent très liés à l’Université de Paris 1, il fonde ainsi l’association « L’homme et l’animal, société de recherche interdisciplinaire », éditrice du périodique Anthropozoologica [actuellement en ligne sur le site des Publications scientifiques du Muséum] et organisatrice de nombreux colloques très fréquentés par les ethnozoologues du Muséum, les membres de Société d’Ethnozootechnie et des chercheurs de divers horizons. Il est aussi à l’origine du programme de recherche coopérative « Animal, os et archéologie » (RCP 717) soutenu par le CNRS, embryon de ce qui deviendra en 1992, sous sa direction, l’unité de recherche associée du même nom[ aujourd’hui UMR (unité mixte de recherche) AASPE (Archéozoologie, Archéobotanique, Sociétés Pratiques et Environnements) qui deviendra BioArch en 2025] qui a contribué à la formation et à l’animation d’une importante part de la communauté scientifique française des bioarchéologues, la plus importante au monde.

Il créa également un lieu d’échanges scientifiques fertiles par l’animation au Muséum national d’Histoire naturelle d’un cycle de séminaires sur « L’histoire naturelle et culturelle des animaux vrais », à partir des années 1990 jusqu’à sa retraite et au-delà, en acceptant en 2021 de parrainer le séminaire qu’ont organisé à sa suite des membres de son laboratoire. Plus, il en trouva le titre « Animaux et végétaux familiers des humains » et participa assidûment aux séances en visioconférence, depuis sa Bourgogne natale. Il joua aussi un rôle de consultant du séminaire d’Histoire des animaux de l’Antiquité de l’École normale supérieure organisé par l’un de ses collègues et ami rencontré à l’École française d’Athènes où il se rendit pendant de nombreuses années pour étudier et fouiller les sites de Thasos et de Delphes.

Enfin, lors des fouilles de la Roche-aux-Loups (Merry-sur-Yonne) qu’il dirigera durant les années 1980 avec un petit groupe d’étudiants de Paris 1 et du Muséum, rejoint à l’occasion par ses enfants et sa femme Cécile, paléontologue au MNHN, il suivit le modèle d’expérience de terrain et de pensée collective de Leroi-Gourhan, où se mêlent les générations et qui l’avait séduit lorsqu’il fouillait, très jeune, à Arcy-sur-Cure.

Arcy-sur-Cure : un repère incontournable dans le parcours de François Poplin

Les grottes d’Arcy ont occupé une place à part dans le parcours et la vie professionnelle comme personnelle de François Poplin. Il en témoigne encore à la fin de sa vie, à l’occasion d’échanges épistolaires et d’un film réalisé sur son parcours entre 2022 et 2023 [l’abécédaire de François Poplin, prochainement en ligne sur le site de l’UMR AASPE] :

« Les grottes d’Arcy s’échelonnent au long de la Cure ainsi : entre deux grandes cavernes appelées la Grande Grotte et la Grotte des Fées, une série de cavités constituent les grottes préhistoriques, en autant de lieux de fouilles qui portent des noms d’animaux. En effet, la tradition s’est instaurée de donner à toute cavité nouvellement ouverte le nom de la première espèce nouvellement rencontrée dans les ossements.

Un jour de repos [dans les années 1961/1962], dont Leroi-Gourhan avait disposé pour je ne sais quoi à l’extérieur, je me suis attelé à dégager, dans une sorte de niche, une anfractuosité qui indiquait qu’il y avait une suite, dans laquelle on pouvait avancer un bras mais pas deux. Je connaissais cet endroit depuis une excursion de société savante auxerroise au début des années 50 ; il y avait, mis debout, de grands os de mammouth trouvés lors de cette campagne ; ils permettraient de retrouver le millésime. J’avais cherché à me fourrer dans ce petit logement en culotte courte, disons vers 10 ans (1953).

Cette fois-ci, outils de fouilles en main, je pouvais entamer le sol pour voir du neuf et surtout pour tenter d’entrer en abaissant le niveau du sol. Des ossements sont apparus bientôt, à main droite, notamment d’hyène, dont une superbe mandibule, et quand Leroi-Gourhan est rentré en fin d’après-midi, on a pu lui montrer ma récolte ; je lui ai discrètement indiqué que j’aurais préféré lui faire cette présentation moi-même. J’ai lavé et marqué ces os à l’encre de Chine pour qu’ils ne soient pas perdus, en y portant mon nom.

Tel a été le début de cette fouille, dont Leroi-Gourhan m’a confié la gestion. C’est dans la suite que ce chantier a reçu son nom, donné souverainement par Leroi-Gourhan, qui a choisi le lion. Il est vrai que le catalogue des zoonymes allait en rétrécissant (renne, hyène, ours, etc. étaient déjà pris), le lion était libre, son étiquette était disponible, et « le Patron » Leroi-Gourhan faisait ce qu’il voulait, peu m’en chalait. A moi l’accouchement, à lui le baptême. Puis, les années s’accumulant, je me suis décidé à lui poser la question, pourquoi le lion alors qu’il n’y a pas été trouvé ? Un silence de qualité rare s’est instauré.

Un parallèle avec une réaction similaire de son père a alors fait comprendre à François Poplin que
« ce sont des choses qu’on n’ose pas dire et on laisse au destin d’agir pour la compréhension ».

Ce n’est que 60 ans plus tard que ce destin lui permis de trouver la clef de l’énigme : « Cette grotte ou abri du Lion est la plus petite des grottes d’Arcy et j’ai fini par comprendre qu’il fallait penser à un petit lion. En fait, il s’agissait de moi… Leroi-Gourhan le disait d’une manière un peu spéciale : il fallait que je trouve mais cela ne devait pas venir de lui ». Et de conclure « c’est la première fois que j’en parle mais il est temps de le faire !  C’est vraiment là que se trouve mon lien le plus aigu avec Arcy-sur-Cure, dans ce fait que Leroi-Gourhan m’en [la grotte] fait la dédicace sous le masque du lion. »

François Poplin prenait un plaisir gourmand à écrire, ciseler ses textes et les parsemer de citations littéraires. Il est l’auteur de centaines d’articles [consultables sur le lien https://archeozoo-archeobota.mnhn.fr/fr/actualites/francois-poplin-9200] allant de la description de nouveaux taxons à l’analyse de la vision des animaux par Jules Renard, en passant par l’analyse de provenance et stylistique de centaines de pièces historiques en ivoire ou en os, domaine dans lequel il a été une référence internationale et consulté en qualité d’expert dans de nombreux sites archéologiques ou musées du monde, et particulièrement le musée du Louvre.

Ancien président de la Société préhistorique française, Président du Comité d’Honneur du 11e congrès de l’International Council for Archaeozoology (ICAZ), il était un homme de caractère, un travailleur acharné, capable de grande générosité qui a fait preuve jusqu’à ses dernières heures d’une passion et d’une acuité sans limites. Son immense culture et sa surprenante créativité lui permirent de féconder des domaines de recherche alors presque vierges et d’être un grand inspirateur d’idées. En cela, il reste un modèle pour beaucoup, au Muséum et peut-être plus encore, ailleurs, en France comme au-delà de nos frontières.

Frédérique Audoin-Rouzeau, Aline Averbouh, Christine Lefèvre, Marjan Mashkour et Jean-Denis Vigne [en remerciant Constance Murdoch-Poplin pour sa relecture avisée].

Pour le laboratoire AASPE « Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements », UMR 7209 du CNRS, MNHN, Paris et au nom de l’ancien Laboratoire d’Anatomie comparée du Muséum national d’Histoire naturelle